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Attention, terrain glissant. L'agence Fitch annonce une année 2024 difficile pour les investisseurs. Les incertitudes géopolitiques et économiques vont peser encore fortement, et rendre la prise de décision plus hasardeuse encore. Petits porteurs audacieux, fonds d'investissement, finance alternative : cette configuration devrait faire une place accrue aux investisseurs montrant la plus grande appétence au risque.
La note de l’agence de notation Fitch parue le 13 novembre ne s’encombre pas de conditionnels : « Les perspectives sectorielles pour 2024 des gestionnaires d’investissement mondiaux se détériorent en raison de l’augmentation des risques macroéconomiques et géopolitiques, le ralentissement de la croissance économique et les taux d’intérêt élevés étant susceptibles de peser sur la performance des investissements. » Les investisseurs sont donc prévenus, ils s’apprêtent à affronter quelques turbulences dans les mois qui viennent. Investir, c’est prendre des risques ; la chose n’est pas nouvelle et elle est une condition du bon fonctionnement des entreprises : avec des prévisions de croissance du PIB pour 2024 affichant un piètre +0,8%, l’économie française va devoir compter sur de nouveaux investissements.
Mais tous les acteurs économiques n’ont pas la même appétence aux risques. Certains ont été douchés par les crises récentes : les investisseurs « traditionnels » – banques privés, fonds publics, etc. – sont beaucoup plus prudents depuis la crise planétaire de 2008. Nombreuses sont les entreprises cotées, qui, malgré des perspectives prometteuses, ne trouvent pas de répondant auprès du système bancaire, qui ne veux risquer ses crédits que pour des valeurs que leurs analystes estiment sûres. Dès lors, ces profils de société font affaire avec des investisseurs ayant encore une certaine appétence au risque, comme certains profils de petits porteurs ou de fonds spéculatifs, ou encore des financeurs alternatifs. Parmi les petits porteurs, il convient d’ailleurs de distinguer. Il y a ceux qui se prêtent réellement au jeu, acceptant les pertes inhérentes à certaines valeurs volatiles aux résultats économiques et financiers encore incertains. Et ceux qui accablent les dirigeants dès que les résultats ne sont pas au rendez-vous d’un retour sur investissement espéré précoce. Si les perspectives ouvertes par certaines IPO sont parfois porteuses d’illusions, on peut aussi regretter qu’une part de ceux qui investissent directement dans ces valeurs, sans passer par des professionnels, n’aient pas l’obligation de remplir les questionnaires imposés par ailleurs par l’AMF. Ceux-ci permettent en effet aux impétrants de se confronter à leurs véritables attentes… et d’opter bien souvent pour des combinaisons d’investissements plus adaptées, raisonnables et moins risquées. Dans tous les cas, la pertinence de l’investissement est liée à l’analyse du risque, qui ne s’improvise pas. « Il faut toujours faire abstraction du bruit ambiant, prévient Sébastien Saint-Hilaire, gestionnaire de portefeuille chez Valeurs mobilières Desjardins. Il faut aller beaucoup plus loin que la rumeur, et les tendances, en ayant le temps et la patience de bien analyser une compagnie, ou un secteur d’activité, avant d’acheter des actions. ».C’est en substance la raison de la mise en garde répétée de l’Autorité des marchés financier (AMF) : « Investir dans des actions d’une entreprise est risqué : il n’y a pas de garantie sur les performances de l’entreprise, la société peut faire faillite, un aléa lié au secteur économique peut subvenir, etc. Un investisseur en actions n’a donc aucune certitude de récupérer le capital investi. Mais en contrepartie de ce risque, il y a des possibilités de rendement élevé. » Une fois ces signaux d’alerte lancés par les autorités financières, les investisseurs privés sont seuls responsables de leur bonne fortune. Ou de leur mésaventure.Dans ce panorama d’investisseurs privés il y a ensuite la vaste gamme des gérants d’actifs selon toutes les nuances du terme (hedge-funds, capital-risque, SICAV, OPCVM…). Leur vocation première est de distribuer des dividendes à leurs actionnaires, avec une appétence au risque proportionnelle à celle de leur assemblée générale, et donc très variable selon les cas. Pour ces professionnels, plus que pour les petits porteurs, le risque est connu, et assumé comme tel.Les financeurs alternatifs se signalent en revanche par leur finalité première, qui est d’épauler des entreprises en quête de financement, qu’elles soient en phase de croissance, ou en phase de retournement, donc dans des « moments de risque » avérés. Il s’agit bien d’investir dans l’économie réelle, d’accompagner le développement des sociétés, tout en escomptant un retour sur investissement durable, en échangeant avec le chef d’entreprise sur sa vision à moyen et long terme.
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C’est précisément en vertu de cette vision qu’ils prennent le relais des banques traditionnelles, dissuadées par des trajectoires financières jugées trop risquées. En France, c’est particulièrement le cas dans un domaine à forte intensité capitalistique : les medtechs et les biotechs. Ces entreprises de pointe du secteur de la santé ont souvent besoin d’un cash-flow important, sur plusieurs années, avant d’atteindre leur objectif principal. La société Pharnext, à court de cash alors qu’elle travaille sur un médicament révolutionnaire contre la maladie de Charcot, a ainsi eu recours, faute de réponse positive des banques, à un family office, Alpha Blue Ocean. Ces financeurs n’interfèrent pas dans le cycle décisionnel de l’entreprise, et ils restent « suffisamment longtemps » pour que les projets atteignent leur maturité. « Notre métier n’est pas de nous immiscer dans les affaires intérieures et le processus de décision des entreprises que nous accompagnons, insiste Hugo Pingray, co- fondateur d’Alpha Blue Ocean, mais de mettre à leur disposition les solutions de financement qu’elles ne trouvent pas ailleurs pour porter leurs ambitions dans la durée. Notre métier est d’assurer qu’un projet sensé ait, en temps et en heure, les ressources nécessaires à son exécution, sans aléa. Nous investissons notre propre argent et nous nous engageons sur des durées très longues. » L’investissement minimum est alors de deux ans, afin de pérenniser les entreprises accompagnées.Pour certains, la levée de fonds plus courante reste une solution crédible. La biotech Keranova, qui développe une technologie chirurgicale non invasive pour soigner la cataracte, a opté pour ce choix à deux reprises. Sa directrice générale, Denise Hoblingre, s’en réjouit et explique que cette opération est avant tout un choix mutuel entre dirigeants et investisseurs : « Notre plan A c’est la levée de fonds, parce que nous savons que nos investisseurs sont prêts à nous suivre. Ils ont bien compris que notre secteur demandait du temps avant la mise sur le marché (…). Nos investisseurs nous ont choisis, mais nous avons aussi choisi nos investisseurs, c’est primordial ».Dans tous les cas, la réussite d’un investissement se fonde sur une compréhension mutuelle entre l’entreprise à la recherche de financements et les investisseurs qui ne veulent plus être vus uniquement comme des sources de cash-flow, mais comme des partenaires à part entière. « Le fait de n’être qu’un réservoir de capitaux ne constitue pas une relation stratégique définitive, remarque Claire Van Wyk-Allan du Conseil mondial des investisseurs (CMI). Au contraire, un partenariat plus profond et durable peut être établi grâce au co-investissement, à des offres sur mesure, à un partage accru des connaissances et à des services de conseil en matière de valeur, tant dans le domaine de la recherche que dans celui de la technologie. » Quel que soit le domaine d’activité – haute technologie, santé, services –, l’objectif est le même : soutenir les entreprises et l’économie nationale.
Du côté du gouvernement en effet, Bercy scrute à la loupe toutes les tendances des marchés et ne cache pas son soutien actif aux investisseurs, tous profils confondus : il faut à tout prix soutenir la machine France, et en particulier l’investissement dans les licornes si chères au président de la République et à son plan France 2030. Au ministère des Finances, la Direction générale des entreprises (DGE) donne d’ailleurs la priorité à l’initiative Tibi, lancée lors du dernier salon Vivatech, et qui doit permettre de lever 12 milliards d’euros d’ici 2030 : « L’enjeu est d’ouvrir le spectre en finançant les grandes transitions (écologie, santé…) et en prenant plus de risques sur le financement des deeptechs, avance un porte-parole de la DGE. Sur l’initiative Tibi, nous voulons porter un triple message : les investisseurs doivent accroître leurs efforts. Ils doivent aussi cibler davantage les industries innovantes au travers d’investissements dans les fonds spécialisés et généralistes. » Secteur privé et secteur public sont donc sur la même longueur d’ondes. Quitte à prendre quelques risques.De son côté, toutefois, l’AMF multiplie les mises en garde – comme le montre sa cartographie des marchés et des risques publiée en juillet dernier – sur les risques associés à certains dispositifs alternatifs, particulièrement dilutifs pour les valeurs concernées. Une posture légitime aux yeux des petits porteurs qui s’estiment floués, mais qui conforte la tendance à l’aversion au risque, menaçant du coup le financement d’un nombre croissant d’entreprises à fort potentiel – finalement en contradiction de fond avec les souhaits de l’exécutif. L’arrivée à l’automne dernier d’un nouveau secrétaire général, Sébastien Raspiller, choisi selon la présidente de l’AMF pour « sa connaissance de la régulation et du financement de l’économie » sera-t-elle porteuse d’un infléchissement du régulateur à ce sujet ? Affaire à suivre.