Vous avez connu les sommets en remportant la médaille d’or à Turin en 2006, puis, dès 2007, vous avez mis fin à votre carrière après une chute douloureuse. Pouvez-vous nous rappeler votre carrière de skieur de haut niveau et nous expliquer comment s’est opérée cette transition qui a tout remis en question ?
Antoine Dénériaz : J’ai eu la chance de vivre une carrière riche et intense dans le ski alpin, notamment dans ma discipline de prédilection, la descente. Je suis né à Bonneville, en Haute-Savoie, j’ai grandi dans un environnement propice à la glisse et j’ai, très tôt, intégré le club de Morillon, qui a façonné mon parcours. J’ai rejoint l’équipe de France dans les années 1990 et commencé à me faire un nom sur le circuit de la Coupe du monde où j’ai pris le départ de 141 courses, décroché trois victoires et plusieurs podiums.
Ma plus grande fierté reste, évidemment, ma victoire aux Jeux olympiques de Turin en 2006, où j’ai décroché l’or en descente avec une avance « historique » de 72 centièmes de seconde sur Michael Walchhofer. C’était l’aboutissement de nombreuses années de travail et de sacrifices.
Mais ma carrière a aussi été marquée par les blessures, notamment aux genoux, qui ont freiné ma progression. Après mon titre olympique, j’ai eu du mal à retrouver mon meilleur niveau. Une lourde chute en compétition a été un tournant décisif, et à seulement 30 ans, j’ai dû prendre la difficile décision d’arrêter en janvier 2007.
Une fin de carrière brutale et qu’on imagine peu préparée ?
Antoine Dénériaz : Après ma chute, j’ai compris que prendre le même niveau de risque sur les pistes n’était plus envisageable. Je me suis retrouvé, du jour au lendemain, sans plan précis.
Ce fut une période d’incertitude intense. J’ai d’abord accepté, comme beaucoup d’anciens sportifs, des missions de consulting, notamment lors des préparatifs des J.O. de 2014, afin de rester proche du milieu sportif tout en explorant d’autres horizons. Cette première incursion dans le conseil m’a servi de tremplin. J’ai ensuite participé activement à la candidature d’Annecy pour les J.O. de 2018 qui fut, pour moi, une véritable école de la gestion de projet et des relations institutionnelles.
Collaborer avec des élus locaux et des experts, tout en évoluant dans un environnement compétitif, m’a permis d’acquérir une vision stratégique. J’ai ainsi pu constater que l’organisation d’un événement sportif d’envergure demande une rigueur que l’on peut transposer dans le monde entrepreneurial. Ce projet m’a convaincu de l’intérêt de combiner mes compétences sportives avec une approche managériale.
Parallèlement, vous lancez en 2009 votre marque d’accessoires et de skis. Quel a été le déclic pour vous lancer dans l’entrepreneuriat ?
Le déclic est venu d’un constat simple : alors que mon ancien sponsor, la marque de casques et de lunettes Cébé, arrêtait son activité en France, il me semblait inconcevable que le savoir-faire et l’esprit du ski disparaissent sans laisser de traces dans les Alpes.
J’ai d’abord travaillé sur des produits dérivés – casques et masques – pour maintenir un lien avec mon univers. Rapidement, l’envie de proposer un produit à part entière s’est imposée. J’ai donc décidé de créer une gamme de skis haut de gamme. J’ai fait le pari que la demande pour des produits authentiques et fabriqués en France était en pleine expansion, notamment dans le secteur du luxe.
Pour structurer votre projet, vous avez intégré un master en marketing du sport à l’ESSEC. En quoi cette formation a-t-elle influencé votre approche entrepreneuriale ?
Cette formation m’a apporté des outils essentiels pour analyser le marché et structurer une offre cohérente. J’ai appris à associer la passion à une démarche professionnelle rigoureuse. Grâce à ce cursus, j’ai pu élaborer un plan d’affaires solide et comprendre l’importance du positionnement produit et la communication. Cela m’a permis de passer d’une gestion improvisée à une stratégie d’entreprise claire, axée sur la qualité, la production artisanale et la différenciation par le « Made in France ».
Vous avez rapidement fait le choix d’une production en petites séries qui tranche avec la production industrielle des grandes entreprises de skis.
Absolument. Dès le départ, j’ai voulu m’inscrire dans la durée en privilégiant la qualité à la quantité. Nous avons choisi de travailler en étroite collaboration avec des artisans locaux en Savoie. Par exemple, nous utilisons du noyer et du frêne provenant de fournisseurs régionaux, associés à des matériaux techniques comme les fibres de carbone et le Kevlar, qui garantissent la légèreté et la robustesse du produit.
Le processus de fabrication était d’abord entièrement réalisé dans notre premier atelier d’Albertville, puis près d’Annecy, où chaque paire de skis est assemblée et contrôlée minutieusement. Une rencontre a été déterminante au début de l’aventure, celle d’Alain Zanco, développeur et créateur de skis depuis plus de 30 ans pour l’une des plus grandes marques de skis au monde, Rossignol. Alain a développé des centaines de prototypes et déposé plus de 50 brevets.
Nous avons rapidement constaté que nous partagions une même vision : proposer des skis d’exception, fabriqués avec soin et dans le respect des traditions artisanales. Alain, qui a une connaissance fine des techniques de fabrication, a apporté une expertise technique indispensable. Ensemble, nous avons réorganisé l’atelier pour en faire un véritable laboratoire d’innovation, tout en restant fidèle à l’authenticité du « Made in Savoie ». Ce partenariat a permis de renforcer la crédibilité de notre marque auprès des distributeurs et des clients exigeants.
Vous avez axé votre stratégie de distribution sur les hôtels de luxe. Quelle logique sous-tend ce choix de diffusion ?
La distribution sélective est au cœur de notre stratégie. Nous avons choisi de nous positionner sur un segment premium afin de préserver l’image d’exclusivité de nos produits qui sont vendus entre 2 000 et 3 000 euros la paire.
Nos partenariats se font avec des enseignes réputées, notamment des hôtels et resorts de luxe, comme le Six Senses à Crans-Montana ou Les Airelles à Courchevel. Nous sommes aussi présents dans certaines boutiques à Val d’Isère, Méribel et Courchevel. Nous avons également un partenariat avec les 11 Clubs Med les plus haut de gamme dans les Alpes.
Cette approche permet d’associer notre savoir-faire artisanal à une expérience client d’exception. Nous organisons régulièrement des « Denériaz Experience Days » dans ces lieux, afin que les clients puissent tester nos skis dans un cadre authentique. Cela permet d’établir une relation de confiance et de fidéliser une clientèle avertie.
Nous travaillons aussi au développement d’une gamme de skis plus accessible pour élargir notre clientèle et passer le cap du million d’euros de chiffre d’affaires. Nous réalisions actuellement un peu moins de 600 000 euros dans notre atelier qui emploie 6 personnes.
Vous évoquez aussi une ouverture sur le marché international, notamment en Chine, en Corée et en Andorre. Quels sont les défis et les opportunités de cette expansion ?
Le marché chinois, par exemple, connaît une croissance phénoménale dans le secteur du ski, car la Chine investirait massivement dans les infrastructures de sports d’hiver pour les prochaines années.
Pour nous, il s’agit de faire découvrir le label « Made in France », gage d’excellence à une clientèle en quête de produits uniques. Nous avons entamé des discussions avec des distributeurs locaux et prévoyons d’adapter notre offre aux spécificités de ces marchés. En Andorre ou en Suisse, le positionnement premium et la tradition artisanale trouvent également leur écho auprès d’une clientèle internationale exigeante.
Bien entendu, ces développements nécessitent une adaptation de notre logistique et de notre communication, mais ils représentent une opportunité majeure pour diversifier notre base de clients et renforcer notre image à l’international.
Votre collaboration avec la marque italienne Sease, lancée par Franco Loro Piana, est une autre facette de votre développement. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce partenariat et sur la nouvelle ligne de produits qui en découle ?
Je suis ambassadeur de la marque depuis quelques années. Le partenariat avec Sease s’inscrit dans notre volonté de toucher une clientèle encore plus large sans renoncer à nos valeurs de qualité et d’authenticité. Sease, reconnue pour ses vêtements haut de gamme et son positionnement luxe, nous permet de développer une collection de skis et d’accessoires alliant élégance et performance. L’idée est de proposer des séries limitées où le design se marie avec la technicité, offrant ainsi une expérience exclusive aux amateurs de glisse. Ce projet, en cours de développement, sera présenté lors d’événements dédiés, et nous espérons qu’il renforcera notre position sur le segment premium, comme le souligne régulièrement la presse économique spécialisée.
Enfin, vous êtes engagé dans la réflexion autour des J.O. d’hiver 2030, prônant une réutilisation des infrastructures et une approche plus raisonnée. Pouvez-vous détailler vos idées à ce sujet ?
La question des J.O. d’hiver 2030 est au cœur des débats, tant sur le plan économique qu’environnemental. Mon objectif, au sein du Conseil régional où je suis élu, est de s’assurer une vision alternative où les infrastructures existantes, comme les pistes de bobsleigh ou les tremplins de saut, seraient réhabilitées, plutôt que de construire de nouvelles installations à coût exorbitant.
Ce modèle vise à limiter le gigantisme et à favoriser la durabilité. Par ailleurs, je milite pour une meilleure gestion des transports et de l’enneigement, afin de réduire l’empreinte écologique des grands événements. En parallèle, le projet de village olympique à Bozel, par exemple, témoigne de notre volonté d’allier modernité et respect du territoire. Je pense qu’un tel modèle, plus sobre et centré sur l’essentiel, pourrait servir d’exemple pour l’avenir des compétitions internationales.
Quel message souhaiteriez-vous adresser à ceux qui envisagent une reconversion ou qui souhaitent se lancer dans l’entrepreneuriat ?
Je dirais qu’il ne faut jamais craindre le changement, même lorsqu’il survient de manière inattendue. Chaque expérience, aussi difficile soit-elle, peut ouvrir la porte à de nouvelles opportunités si l’on sait s’entourer des bonnes personnes et se former en continu. La reconversion n’est pas un échec, mais une transition vers une version plus complète de soi-même. Il est essentiel d’allier passion et méthode pour réussir. Mon parcours, de la compétition aux ateliers de fabrication en Savoie, en est la preuve concrète. Je recommande à chacun de rester fidèle à ses valeurs et de voir chaque défi comme une chance de se réinventer.
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