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C'est une déflagration qui va peut-être faire date dans le monde de la promotion immobilière. Un marchand de biens marseillais a été condamné à 3 ans de prison ferme et au paiement de 3,4 millions d'euros pour avoir déposé une série de recours abusifs contre des permis de construire.
Avant de lancer un projet immobilier, les promoteurs ont pour obligation de demander un permis de construire à la mairie du lieu concerné. Une fois l'autorisation obtenue, elle doit être affichée sur le terrain pendant une période de 2 mois consécutifs. Durant toute cette période, les tiers ont le droit de s'opposer à la décision entre protestant auprès de la mairie (recours dit « gracieux ») ou en déposant une requête auprès du tribunal administratif (recours « contentieux »). Les motifs de recours sont assez variés : un voisin peut par exemple se plaindre du manque d'ensoleillement que lui imposera la nouvelle construction ou peut invoquer le fait que la voirie n'est pas adaptée au nombre de logements à construire. La légalité du permis de construire peut aussi être contestée lorsqu'un tiers estime qu'il a été attribué au mépris des règles du plan local d'urbanisme (construction trop haute, trop dense...). Rappelons que dans tous les cas, ce n'est pas le promoteur qui est attaqué mais l'autorité publique qui a délivré le permis de construire, autrement dit la mairie.
Si un tiers dépose un recours gracieux contre un permis de construire, la mairie peut soit revenir sur l'autorisation qu'elle a délivrée, soit la laisser en l'état sans qu'il n'y ait aucune conséquence. Le projet se complique lorsque c'est un recours contentieux qui est déposé, car la justice peut dans le pire des cas annuler l'autorisation de construire. Si le dépôt d'un recours auprès du tribunal administratif n'a pas pour effet d'interdire le début des travaux, elle engendre donc des risques très importants. Pour les promoteurs, le problème majeur est le délai de traitement du recours. Celui-ci descend rarement en dessous de plusieurs mois, voire plusieurs années. Pendant ce temps, impossible d'obtenir un crédit bancaire, une garantie financière d'achèvement et de vendre les logements sur plans à des acquéreurs. Autrement dit, le projet est bloqué. La question rejailli aussi sur l'engagement financier de la société. Pour obtenir le permis, les promoteurs ont dépensé des dizaines de milliers d'euros en frais liés à la conception du projet (architecte, géomètre, bureaux d'études, avocats...). Ils ont déjà négocié les conditions d'acquisition du terrain et notamment son prix, voire parfois acheté sans condition de purge des recours pour les opérations les plus risquées. Attendre quelques années pour lancer la construction, c'est aussi s'exposer à un risque non-négligeable de modification des conditions de marché. Plutôt que d'attendre que le dossier soit traité en justice, certains promoteurs décident donc de s'asseoir autour d'une table avec les plaignants pour trouver une solution et débloquer la situation. La plupart du temps cela se résume soit à modifier le projet, soit à indemniser le préjudice que les requérants estiment subir. Lorsqu'un accord est trouvé, ceux-ci retirent leur recours et le projet peut reprendre son cours.
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Si un certain nombre de recours contre des permis de construire peuvent être légitimes, des individus y ont depuis longtemps flairé un « filon » qui peut se révéler lucratif : attaquer des permis de construire au tribunal pour bloquer les projets et forcer les promoteurs à négocier. Une procédure qui instrumentalise le droit et qui n'est pas si rare : les histoires de recours abusifs sont monnaie courante chez beaucoup de promoteurs de toute taille. Selon la Fédération des Promoteurs Immobiliers, une seule personne avait par exemple réussi à bloquer la construction de 1500 logements dans les Hauts-de-Seine en 2019 par ce biais. C'est vraisemblablement ce qui est arrivé à Marseille entre 2010 et 2015. Un marchand de biens, dont la profession permet d'imaginer qu'il est parfaitement au courant du fonctionnement et des conséquences des recours contentieux, a été lourdement condamné le 26 octobre 2021 par la 6ème chambre du tribunal correctionnel pour une série de recours abusifs. Ce professionnel de l'immobilier et son frère médecin ont déposé plusieurs dizaines de recours, dont la plupart ont été écartés par le tribunal administratif. Cette activité leur avait déjà valu d'être condamnés à 3000 euros d'amende, selon l'AFP repris par Baticatu. Cette fois, c'est pour 19 recours qui avaient donné lieu à des protocoles d'accord que le marchand de biens a été condamné. Ces négociations « forcées » avec les promoteurs lui avaient rapporté 2,2 millions d'euros. Elle lui en coûte aujourd'hui 3 ans de prison ferme pour « extorsion et tentative d'extorsion de promoteurs immobiliers », une amende pénale de 45.000 euros, le versement de 3,4 millions d'euros de dommages et intérêts et l'interdiction d'exercer une profession commerciale ou industrielle.
Depuis 2017, le recours abusif contre les permis de construire est punissable par une amende civile et l'éventuel versement de dommages et intérêts. Mais cette pratique a peu été condamnée en justice. Peut-être par manque de plaintes, de preuves que la manœuvre relève de l'extorsion de fonds, ou par craintes que des particuliers renoncent à protester de façon légitime contre des permis par peur d'être condamnés. En novembre 2015, le tribunal administratif de Lyon avait condamné plusieurs personnes qui avaient formulé des recours abusifs à verser 82.700 euros de dommages et intérêts au titulaire d'un permis de construire. En avril de la même année, le tribunal de Bordeaux avait prononcé une condamnation à 4000 euros d'amende pour le même motif. Dans l'affaire du marchand de biens marseillais, la condamnation semble donc assez exceptionnelle pour ce type d'affaires. Sa sévérité est probablement liée à la profession de l'accusé, au nombre de recours qu'il a déposés, à sa précédente condamnation pour le même motif et à la somme que ces procédures lui ont permis d'encaisser. Elle va d'ailleurs au-delà des réquisitions du parquet, qui demandait 4 ans de prison dont 2 assortis d'un sursis probatoire et une amende de 45000 euros, selon l'AFP. Quoi qu'il en soit, il n'est pas impossible qu'elle mette un coup de frein à cette pratique.
L'article L.600-7 du Code de l'urbanisme issu de l'ordonnance du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l'urbanisme a introduit la notion « d'intérêts légitimes » pour agir et prévoit que « lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir [rappelons qu'en l'espèce c'est toujours la mairie qui est attaquée, jamais le promoteur, ndlr] contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager est mis en œuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant et qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct au juge administratif saisi du recours, de condamner l'auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts ».
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