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La décision soulève les craintes d'une partie de la population du pays, des économistes et des institutions internationales.
Le 7 septembre 2021, le Salvador, pays d'Amérique Centrale de 6,4 millions d'habitants, est devenu le premier État au monde à reconnaître une cryptomonnaie comme monnaie nationale. Le Bitcoin est devenu sa seconde monnaie légale avec le dollar américain. Cela fait suite à l'entrée en vigueur d'une loi spéciale votée cet été, la Ley Bitcoin (loi Bitcoin). Elle impose à tout agent économique d'accepter cette cryptomonnaie comme moyen de paiement. Elle indique par ailleurs que le taux de change Bitcoin / dollar en vigueur dans le pays sera établi « librement par le marché ». Pour encourager l'usage de la cryptomonnaie, le gouvernement met une application à disposition des Salvadoriens : Chivo Wallet. Il s'agit d'un portefeuille numérique géré par le gouvernement, qui permet de payer et de recevoir des paiements en Bitcoin. Ceux qui ouvrent un compte sont crédités de 30 dollars, soit l'équivalent de près de 10% du salaire moyen mensuel local. L'application doit permettre aux Salvadoriens de bénéficier de la gratuité des frais de transaction lors de leurs transferts d'argent. Ceux-ci sont pris en charge par le gouvernement, qui a créé un fonds de 150 millions de dollars à cet effet. 200 guichets automatiques permettant de retirer de l'argent déposé sur Chivo ont été installés dans le pays.
L'instauration du Bitcoin comme monnaie légale au Salvador a officiellement plusieurs objectifs. D'abord, permettre aux habitants du pays d'avoir un accès facilité à un compte bancaire. 70% de la population en est actuellement exclue. D'autre part, le recours à la cryptomonnaie est censé lui faire économiser 400 millions de dollars de frais bancaires liés aux transferts d'argent. Le sujet est particulièrement important : 24% du PIB* national repose sur l'envoi d'argent des expatriés à leur famille, selon la Banque Mondiale. A priori, le Bitcoin serait donc un moyen de s'affranchir du système bancaire traditionnel (et de la dépendance au dollar américain puisque le Salvador n'a pas de monnaie nationale), ce qui était l'un des objectifs originels lors de la création de la cryptomonnaie. Mais tout n'est pas aussi simple, et cette décision politique pourrait également mettre le Salvador face à de graves difficultés, alors que le pays a déjà beaucoup souffert de la pandémie.
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Le premier problème, et non des moindres, est que la valeur du Bitcoin est extrêmement instable. En conséquence, les prix pourraient eux aussi être très fluctuants. Selon Oscar Cabrera, économiste à l'Université du Salvador, l'adoption du Bitcoin aura donc plutôt « un impact négatif sur le niveau de vie du pays ». Les cryptomonnaies sont considérées comme l'un des supports d'investissement les plus risqués, avec lequel il est possible de perdre beaucoup d'argent. Or, au Salvador, le taux de pauvreté atteint près de 23% selon la Banque mondiale, soit 1,5 million de personnes. Le problème majeur d'une grande partie de la population est d'avoir assez d'argent pour se nourrir. Là où 50 cents peuvent faire la différence pour manger ou non, une variation à la baisse de la valeur du Bitcoin peut être catastrophique. Au-delà des problèmes inhérents aux cryptomonnaies, ce sont les usages locaux qui entrent en contradiction avec l'utilisation des Bitcoins. Le Salvador est un pays dans lequel les gens paient majoritairement avec des billets, et la moitié de la population n'a pas accès à Internet. L'arrivée brutale de ces nouvelles technologies soulève une vague de méfiance. Depuis l'entrée en vigueur de la loi, plusieurs manifestations anti-Bitcoin ont éclaté dans le pays. Alors que le président était jusqu'à récemment plutôt populaire, la colère monte. « Ce bitcoin, c'est une monnaie qui n'existe pas, c'est une monnaie qui ne va pas profiter aux plus pauvres, mais aux plus riches. Qui, étant pauvre, peut investir, alors qu'il a à peine de quoi manger ? », a tonné José Santos Melara, un manifestant vétéran de la guerre civile qui a déchiré le Salvador de 1980 à 1992 et dont les propos ont été rapportés par l'AFP.
Si l'on en croit les déclarations du Président Nayib Bukele, 25% des habitants du pays avait déjà téléchargé l'application Chivo une semaine après l'entrée en vigueur de la loi Bitcoin, soit 1,6 millions de personnes. Mais ce chiffre reste difficile à vérifier pour plusieurs raisons. D'une part, selon un sondage de l'université centraméricaine (UCA), près des deux tiers de la population ne souhaite pas télécharger l'application Chivo. D'autre part, une partie de ceux qui ont tenté de s'y inscrire ont dénoncé des dysfonctionnements importants. En théorie, l'inscription nécessite de déposer sa carte d'identité, son numéro d'ID, sa date de naissance et sa photo. Mais selon des témoignages, certaines personnes ont eu la surprise de découvrir que leur identité avait déjà été utilisée pour ouvrir un compte. D'autres auraient reçu des SMS de confirmation alors qu'ils ne se sont pas inscrits. En outre, la plateforme a subi plusieurs pannes le jour même de son lancement, et certains distributeurs d'argent sont rapidement tombés en panne. Des voix s'élèvent également par crainte que l'application, mise en place et gérée par le gouvernement, soit un moyen de mieux espionner leurs faits et gestes.
La décision d'officialiser le Bitcoin a été prise par le président Bukele le 6 juin 2021, et la loi adoptée à peine 3 jours plus tard, sans débat public ni étude d'impact. Selon Ricardo Castañeda, économiste salvadorien, le chef d'État n'aurait pas « pleinement compris les implications de la loi, son potentiel à causer de graves problèmes macroéconomiques et à convertir le pays en un paradis pour le blanchiment d'argent ». Les cryptomonnaies, non régulées, sont en effet connues pour être l'un des terrains propices à la délinquance financière, au crime organisé et au financement du terrorisme. Le choix du Salvador peine aussi à convaincre les institutions internationales. Le porte-parole du Fonds Monétaire Internationale (FMI), Gerry Rice, a prévenu que « l'adoption du bitcoin comme devise légale soulève un certain nombre de problèmes macroéconomiques, financiers et juridiques, qui requièrent une analyse très détaillée. (...) Les actifs crypto peuvent poser des risques importants. Des mesures de régulation efficaces sont cruciales pour les traiter ». La Banque Mondiale a également fait part de son désaccord, qui l'a conduite à rejeter une demande d'aide déposée par le pays. « Bien que le gouvernement nous ait approché pour obtenir de l'aide sur le bitcoin, ce n'est pas quelque chose que la Banque mondiale peut soutenir étant donné les lacunes en matière d'environnement [la production de Bitcoins est considérée comme très polluante, ndlr] et de transparence », a expliqué un responsable de l'institution à l'AFP. L'agence de notation Moody's, dont les notes influencent le taux d'emprunt des États sur les marchés financiers, a quant à elle abaissé la cote du Salvador de B3 à Caa1, considérant que l'adoption du Bitcoin était un reflet de « l'affaiblissement de la gouvernance » du pays.
Le pari des autorités du pays est plutôt risqué. Adoptée contre une majorité de sa population et contre les institutions internationales, la reconnaissance du Bitcoin comme monnaie officielle pourrait avoir de lourdes conséquences sur l'économie d'un pays qui éprouve déjà des difficultés à sortir sa population de la pauvreté. Pour autant, le président Nayib Bukele semble déterminé à poursuivre dans cette voie. Il adopte une logique d'investisseur pariant à la hausse. Une position dont le degré de compatibilité avec la fonction de chef d'État pose question. Sur Twitter le 20 septembre, il a indiqué que le pays avait profité de la baisse de la cryptomonnaie pour acheter 150 Bitcoins, et donne même une sorte de conseil financier à ses 2,9 millions de followers : « Ils ne peuvent jamais vous battre si vous achetez en période de baisse. Avis de Président ». En tout, le pays possède à ce jour 700 Bitcoins sur les 19 millions de jetons actuellement en circulation.
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