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Le 22 janvier 2015, la Banque Centrale Européenne (BCE) a fait une annonce qui a marqué une rupture dans la politique monétaire européenne. Ce jour-là, l'institution de Francfort avait en effet révélé son plan de rachat massif de dettes publiques et privées. Plus exactement elle s'apprêtait à recourir à un programme de « quantitative easing » (QE) ou assouplissement quantitatif, qui constitue l'un des outils non conventionnels de politique monétaire des banques centrales. Cette décision contrevenait pour certains pays, dont l'Allemagne ou les Pays-Bas, aux dispositions de l'article 123 du traité de Lisbonne qui interdit aux États membres de l'Union Européenne d'emprunter directement auprès de la BCE. Alors pourquoi la BCE persiste-t-elle dans sa stratégie de rachat de dettes ?
Le « Quantitve Easing » est parfois vulgarisé comme une méthode détournée servant à faire fonctionner la « planche à billets ». Mais en quoi consiste-t-il au juste ? En recourant à ce procédé, une banque centrale rachète aux investisseurs des dettes privées ou des emprunts d'État. Elle restaure ainsi leur liquidité afin qu'ils puissent prêter davantage aux acteurs économiques que sont les ménages et les entreprises. In fine, en usant de cet outil de politique monétaire non conventionnelle, l'objectif d'une banque centrale sera de stimuler la croissance. Ces rachats de dettes ne se font pas lors de l'émission des emprunts, mais sur ce que l'on appelle le marché secondaire sur lequel ils se négocient entre investisseurs. Pour autant, il est permis de considérer qu'en rachetant ces actifs une banque centrale contribue indirectement à créer de la monnaie.
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Normalement, le pouvoir de création monétaire n'est pas dans les prérogatives d'une banque centrale. Ce rôle est dévolu aux banques commerciales qui distribuent des crédits aux ménages et aux entreprises et participent également au financement des dettes souveraines. Rappelons que les dispositions statutaires de la BCE lui confèrent la mission d'assurer la stabilité monétaire et subséquemment celle des prix. La BCE doit aussi mettre en œuvre une politique susceptible de contenir l'inflation tout en maintenant celle-ci à un taux proche de 2 %. L'article 123 du traité de Lisbonne lui interdit en outre de financer les déficits budgétaires des États membres de l'UE. Elle se doit d'ailleurs d'être indépendante des pouvoirs politiques. Or, en rachetant des dettes souveraines sur le marché secondaire, la BCE réinjecte dans le système bancaire des liquidités dont les banques commerciales ne font pas comme seul usage de les prêter aux acteurs économiques privés. Car elles utilisent aussi cette manne pour de nouveau acheter les emprunts obligataires émis par les États.
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En pratiquant à grande échelle une politique monétaire non conventionnelle de « Quantitative Easing » (2 562 milliards d'actifs rachetés entre 2015 et 2018), la BCE a renforcé son action sur les taux d'intérêt pour maintenir ceux-ci proches de zéro. Mais le programme de QE devait ainsi constituer une réponse au risque de déflation. En créant des conditions d'emprunt favorable, l'objectif était en effet d'inciter les acteurs économiques à s'endetter et à investir ce qui aurait eu pour effet de relancer la croissance économique et de se rapprocher d'un taux d'inflation à 2 %. Toutefois, faute de réelles perspectives, la demande de crédit émanant des entreprises est restée atone. En revanche, cette situation de taux d'intérêt historiquement bas a permis à de nombreux États européens de continuer à financer leur déficit budgétaire. Ceux-ci ont en effet retrouvé une marge de manœuvre quant à leur capacité à emprunter puisque l'argent ne coute plus rien. Mais l'effet pervers de cette solvabilité restaurée a bien sûr été une nouvelle envolée de l'endettement des États de l'UE.
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Après avoir brièvement annoncé en décembre 2018 la fin de son programme de rachat de dette, la BCE a finalement repris celui-ci en 2019. Un nouveau ralentissement de la croissance économique dans la zone euro a en effet convaincu les dirigeants de la Banque Centrale Européenne de renouer avec le Quantitative Easing. Mais ce revirement finit de raviver des tensions au sein de l'Europe sur la conduite de la politique monétaire par la BCE. En dépit des milliards injectés dans l'économie, il n'est en effet pas avéré que la politique de QE a été efficace pour soutenir la croissance. L'Allemagne notamment, reproche à l'institution de se détourner de ses missions initiales en poursuivant sa politique d'assouplissement quantitatif et de n'avoir comme unique objectif que de pourvoir aux besoins de financement des États. La cour constitutionnelle de Karlsruhe a ainsi rendu un arrêt le 5 mai 2020, dans lequel elle estime que la BCE a enfreint les limites que lui impose son mandat en initiant depuis 2015 des rachats massifs de dettes publiques. Dans cet arrêt, la cour, si elle ne juge pas illégale la politique de QE de la BCE, lance toutefois un ultimatum à celle-ci pour qu'elle en justifie davantage l'opportunité. À défaut, la Bundesbank pourrait ne plus participer aux programmes de rachat de dettes souveraines. Et ce retrait pourrait être le signal d'un premier pas de la République fédérale vers une sortie de l'Eurosystème.