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Plébiscitée pour sa transparence, mais critiquée pour sa rigidité, la classification SFDR Article 9 divise les fonds d'investissement à impact. Si certains y voient un gage de crédibilité, d'autres jugent ses contraintes inadaptées aux réalités du marché. Entre nécessité de régulation et limites de la taxonomie européenne, où en est réellement l'investissement durable ? Article extrait du magazine print Idéal Investisseur n°3.
L’une des raisons principales qui poussent certains fonds à adopter la classification SFDR Article 9 est la nécessité d’un cadre structurant et standardisé. Marie-Estelle Iorio, partner chez FAMAE Impact, souligne que SFDR a apporté une certaine clarté dans un marché où les fonds pouvaient librement revendiquer une approche d’impact sans réel contrôle. « Il y a eu une vague de fonds qui se sont positionnés sur l’impact, mais sans cadre clair. SFDR a permis de structurer cela et d’éviter que chacun utilise les termes qu’il voulait pour attirer des investisseurs », explique-t-elle. Un point de vue partagé par Marie Ekeland, fondatrice du fonds 2050, qui insiste sur la nécessité d’un référentiel commun. « L’objectif de SFDR était avant tout d’uniformiser la transparence et d’aider les investisseurs à comparer différents fonds selon une même grille de lecture. C’est un progrès indéniable », affirme-t-elle. La classification SFDR Article 9 permet ainsi aux fonds de garantir à leurs investisseurs que leur stratégie est alignée avec un cadre reconnu, tout en se soumettant à des obligations de transparence et de reporting.
Si le principe de SFDR est largement salué, sa mise en application est plus contestée. L’un des points de friction majeurs concerne la taxonomie européenne, censée définir ce qu’est une activité économique durable. Or, cette taxonomie est encore jugée incomplète et parfois inadaptée à certaines innovations. « On investit dans des sociétés qui ont un impact mesurable, comme la réduction des émissions de CO?. Pourtant, certaines de ces activités ne sont pas reconnues par la taxonomie, ce qui complique notre alignement réglementaire », dénonce Marie-Estelle Iorio. Marie Ekeland va plus loin, expliquant que même les fonds Article 9 peinent à atteindre des niveaux élevés d’alignement. « Nous sommes à 46 % d’alignement avec la taxonomie, ce qui est déjà élevé si on tient compte du fait que la taxonomie en vigueur n’intègre pas encore le volet social et que le volet environnemental repose sur des bases encore mouvantes. Cela explique aussi pourquoi certains fonds Article 9 s’engagent sur un minimum de 0 % d’alignement », souligne-t-elle. La mise en œuvre du reporting SFDR représente donc un défi pour certaines entreprises du portefeuille, qui ne disposent pas toujours des ressources internes nécessaires pour répondre aux exigences réglementaires. Marie-Estelle Iorio souligne que cet exercice repose encore largement sur du déclaratif, ce qui peut complexifier son application. « Aujourd’hui, les commissaires aux comptes vérifient les chiffres, mais toutes les entreprises ne sont pas encore suffisamment structurées en interne pour produire un reporting aussi détaillé », explique-t-elle.
Si les fonds Article 9 reconnaissent ces limites, d’autres gestionnaires font le choix délibéré de ne pas entrer dans cette classification. HCVC, spécialisé dans la deep tech, en est un exemple. Alexis Houssou, son fondateur, explique pourquoi son fonds, classé Article 6, préfère ne pas être contraint par SFDR. « On investit dans des innovations de rupture qui auront un impact énorme à long terme. Mais aujourd’hui, elles sont trop en avance pour rentrer dans les classifications SFDR. Pourquoi demander à un entrepreneur qui développe un réacteur de fusion nucléaire de remplir un formulaire de 28 pages sur ses émissions carbone, alors que son impact réel ne sera visible que dans dix ans ? », interroge-t-il. Il dénonce également une approche réglementaire qui repose parfois sur des compromis politiques plus que sur des critères scientifiques. « Certaines activités sont exclues de la taxonomie pour des raisons qui n’ont rien à voir avec leur impact réel. Prenons le nucléaire : jusqu’à récemment, il était en dehors des classifications, alors qu’il s’agit d’une des énergies les plus bas-carbone », partage-t-il. Cette approche réglementaire pourrait même, selon lui, aller jusqu’à créer une mauvaise allocation du capital en favorisant des investissements conformes aux critères SFDR, mais pas nécessairement les plus bénéfiques à long terme.
Les trois acteurs interrogés s’accordent sur un point : la réglementation SFDR doit évoluer pour mieux refléter la réalité des investissements à impact. « Nous avons le label Greenfin, qui implique un audit annuel réalisé par des experts comme Novethic. Ils challengent réellement notre stratégie et nous posent les bonnes questions. Ce type d’approche pourrait inspirer SFDR », avance Marie-Estelle Iorio, mettant en avant le besoin de critères plus pertinents et mieux contrôlés. « Aujourd’hui, la réglementation est axée sur des critères environnementaux non exhaustifs et laisse de côté des dimensions essentielles comme l’impact social. Or, certaines entreprises ont un rôle clé dans la transition, même si elles ne cochent pas les cases de la taxonomie », affirme de son côté Marie Ekeland. Un point de vue partagé par Mathieu Cornieti, cofondateur d’Impact Partners, un fonds spécialisé dans l’impact social. Interrogé en janvier 2023, il déplorait que, sur l’aspect réglementaire, la taxonomie européenne ne se résume qu’à un volet environnemental : « Limiter le réchauffement climatique est un enjeu majeur, mais il faut aussi s’y adapter, et cela passe par la cohésion sociale », rappelait-il. Enfin, Alexis Houssou met en garde contre un risque de bureaucratisation excessive. « Il faut éviter de tomber dans une logique où l’administratif prend le pas sur l’investissement. Ce qui compte, c’est de financer des entreprises qui transforment réellement le monde, pas de cocher des cases sur un document de reporting », insiste-t-il. SFDR a indéniablement apporté plus de transparence à l’investissement durable, en offrant un cadre commun aux investisseurs. Cependant, sa mise en application reste perfectible : entre une taxonomie européenne encore incomplète et une charge administrative lourde, de nombreux acteurs du capital-investissement estiment que des ajustements sont nécessaires. Alors que certains, comme FAMAE Impact et 2050, choisissent d’embrasser cette classification malgré ses limites, d’autres, comme HCVC, préfèrent s’en affranchir pour garder une liberté d’investissement plus grande. Le débat reste ouvert, et l’évolution de la réglementation sera sans doute déterminante pour l’avenir de l’investissement à impact en Europe.
Dans ce numéro :
- IMMOBILIER : 30 pages pour investir
- DÉFENSE : dossier spécial investissement
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