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Si le taux de défaut des entreprises reste relativement faible, notamment en Europe, une nouvelle dégradation du contexte économique et sanitaire pourrait engendrer un déclassement massif des émetteurs en « high yield* ». Une situation qui présente des risques mais aussi des opportunités. Une tribune de David Diwan, CFA, gérant de portefeuille senior chez Edmond de Rothschild.
Gérant obligataire de renom, Jeffrey Gundlach a récemment prévenu qu'il était possible que le taux de défaut des titres à haut rendement soit multiplié par deux. Une prévision alarmiste alors même que les pouvoirs publics lancent des programmes d'aide colossaux et que les banques centrales* prennent des mesures d'urgence pour aider les entreprises malmenées par le ralentissement économique provoqué par le coronavirus. Pour lui, la pereption des marchés financiers sur ce taux de défaut et leur évolution est totalement déconnectée de la réalité économique. Il affirme que les décisions des Etats et des banques centrales ont contribué à la formation d'une bulle des actifs risqués. Les marchés de la dette à haut rendement seraient perturbés par les mesures des banques centrales, qui entraînent un afflux temporaire de liquidités (dont les actifs risqués manquent généralement) sans pour autant résoudre les problèmes de solvabilité des émetteurs, qui peinent aujourd'hui à rembourser des dettes de plus en plus lourdes dans un contexte économique qui se dégrade rapidement. En conclusion, Jeffrey Gundlach explique qu'il doute très fortement de la capacité des plans de relance à empêcher un doublement des taux de défaut du haut rendement.
Pour mieux comprendre le point de vue de Jeffrey Gundlach, il faut commencer par s'intéresser à l'état actuel du marché du haut rendement. Si l'on se base sur les données de Moody's, le taux de défaut des émetteurs mondiaux à haut rendement s'établissait à 6,1 % fin juillet, au plus haut depuis la crise financière et contre 2,4 % il y a un an. Si l'on décompose ces chiffres par zone géographique, on obtient un résultat plus contrasté : le taux de défaut du haut rendement américain atteint 8,4 %, contre 2,7 % pour son homologue européen, un niveau relativement bas. Mais ces données sont par essence historiques. Or, ce qui nous intéresse avant tout, c'est la trajectoire future des défauts. Moody's a calculé trois options en fonction de trois scénarios économiques. Le scénario de base correspond à la conjoncture actuelle. Il est accompagné d'une variante optimiste et d'une variante pessimiste. Dans le scénario de base, l'agence de notation table sur un taux de défaut global de 8,8 % en fin d'année, puis sur un point haut à 9,3 % à la fin du premier trimestre 2021. Le scénario pessimiste (chute plus marquée du PIB, reconfinement strict, distanciation sociale, retrait des plans de relance publics) anticipe une envolée du taux de défaut à 15,5 %. De son côté, le scénario optimiste (rebond économique plus marqué grâce à un vaccin disponible partout dans le monde au premier semestre 2021) prévoit un taux de défaut à 3 %, un niveau similaire à celui qui était observé avant la pandémie.
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Mais ce qui fait cruellement défaut dans le débat actuel sur les taux de défaillance, c'est le fait que la crise du Covid a radicalement changé la taille et la composition de l'univers du haut rendement. Par exemple, depuis le début de la crise, le nombre d'« anges déchus » ne cesse de croître. Il s'agit d'émetteurs de qualité investment grade dont la note de crédit passe en dessous de BBB-/Baa3, basculant ainsi dans la catégorie du haut rendement. Ces dernières années, la faiblesse des taux d'intérêt a poussé les investisseurs à se ruer sur la dette privée. Beaucoup d'entreprises ont profité de ces conditions avantageuses pour s'endetter, ce qui a fait grimper le nombre de sociétés notées BBB. Lorsque la crise du Covid a frappé, les émetteurs des secteurs cycliques les plus touchés (automobile, transport aérien, hôtellerie) qui étaient déjà à la lisière du haut rendement sont ceux qui ont été les plus menacés d'un changement de catégorie. Le mois dernier, l'encours d'obligations d'entreprises européennes notées BBB- atteignait 246 milliards d'euros, dont un tiers sous perspective négative, ce qui signifie qu'un déclassement en catégorie à haut rendement est imminent. Depuis le début de l'année, ce sont 47 milliards d'euros d'obligations qui sont sorties de la catégorie investment grade, un montant qui pourrait grimper à 60 milliards d'euros en fin d'année. Il équivaudrait alors à près de 20 % du marché européen du haut rendement, ce qui aurait pour effet de déformer la taille et la composition de l'univers et d'influencer les taux de défaut. Accor et Valeo font notamment partie de ces anges récemment déchus.
L'augmentation du nombre d'anges déchus n'est pas près de s'arrêter. Jusqu'à présent, les émetteurs chassés de la catégorie investment grade restaient relativement rares. Le rebond de l'activité observé en mai après le déconfinement, le soutien budgétaire pérenne au secteur privé, les cessions d'actifs, les levées de fonds, les réductions de coûts et les baisses de dividendes ont allégé la pression qui pèse sur les entreprises. Mais les problèmes n'ont pas disparu : les déclassements ont simplement été reportés à l'année prochaine. L'élément clé pour l'évolution des taux de défaut et la taille du marché du haut rendement en 2021 sera la rapidité et la pérennité de la reprise économique mondiale dans le sillage des points bas du deuxième trimestre. Nous partons du principe que les programmes publics de relance resteront en place aussi longtemps que nécessaire, mais que leur impact ira en diminuant. Nous pensons également que les banques centrales continueront d'être accommodantes et d'apporter les liquidités nécessaires aux marchés. Les perspectives du haut rendement européen pourraient s'améliorer si la BCE prend exemple sur la Fed et intègre les anges déchus aux émetteurs éligibles aux achats d'actifs du PEPP. Cela entraînerait une réduction des coûts de financement pour une grande partie de l'univers du haut rendement, et donc une baisse des taux de défaut.
Dans le scénario optimiste, qui prévoit une poursuite du rebond du PIB et un vaccin disponible au premier semestre 2021, les taux de défaut du haut rendement restent similaires à leurs niveaux actuels. Les émetteurs disposent de suffisamment de liquidités à leur bilan et réussissent à garder la tête hors de l'eau jusqu'à ce que l'activité redémarre, la génération de trésorerie disponible leur permettant de rembourser leur dette. Mais si la reprise actuelle marque le pas, que l'économie trébuche à nouveau, que le chômage augmente et que le monde connaît une récession en double creux, Jeffrey Gundlach pourrait avoir raison. De nombreux émetteurs des secteurs les plus cycliques seraient alors menacés de défaut. En outre, la multiplication du nombre d'anges déchus ferait gonfler l'univers du haut rendement : il faudrait alors que le marché encaisse ce choc, ce qui pourrait le perturber et exacerber la crise.
En conclusion, plutôt que de réagir aux gros titres alarmistes sur les menaces qui pèsent sur le haut rendement, nous avons choisi de voir le bon côté des choses. La transformation de cet univers en raison de l'arrivée des anges déchus offre aux investisseurs désireux de les saisir des opportunités et des valorisations attrayantes. Quelle que soit la tournure que prendra la conjoncture économique mondiale en 2021, pour les investisseurs capables d'analyser avec précision les bilans des entreprises à haut rendement, les turbulences du marché pourraient être synonymes de rendements à deux chiffres. Le secret ? Une sélection active qui distingue les entreprises qui survivront au coronavirus et prospéreront de celles qui risquent de disparaître.
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