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Non coté : la dette privée, à la conquête du grand public

Après les supports d'investissement dans le private equity, les produits de placement en dette privée connaissent une démocratisation à marche forcée depuis quelques années. Capitalisant sur des niveaux de rendement attrayants, sociétés de gestion et assureurs ne cessent d'enrichir l'offre à destination des particuliers. Cette classe d'actifs n'est toutefois pas sans risque.

Article extrait du magazine print Idéal Investisseur n°2.

Temps de lecture : 7 minute(s) - Par Arnaud Lefebvre | Publié le 22-01-2025 11:30  Photo : Shutterstock  
Non coté : la dette privée, à la conquête du grand public
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Une petite révolution. Entrée en vigueur le 24 octobre dernier, la loi Industrie verte devrait bousculer quelques lignes dans le domaine de la gestion de patrimoine. Visant à accélérer la réindustrialisation de la France et à faire de l’Hexagone le « leader de l’industrie verte en Europe », ce texte a en effet introduit une disposition appelée à bouleverser les stratégies d’allocation afférentes au placement préféré des Français. « Depuis cet automne, les compagnies d’assurance doivent obligatoirement proposer, dans les nouveaux contrats d’assurance-vie assortis d’un profil “équilibré” ou “dynamique”, un investissement minimum dans des actifs non cotés, de l’ordre de respectivement 4 % et 8 % », signale Hélène Barraud-Ousset, dirigeante de Centre du patrimoine et présidente de la Commission communication de la Chambre nationale des conseils en gestion de patrimoine (CNCGP). Alors que cette nouveauté va mécaniquement soutenir le développement des supports d’investissement dans le « non coté » (capital-investissement, immobilier, infrastructures…), une classe d’actifs en plein essor devrait tout particulièrement en tirer profit : la dette privée.

Un marché en forte croissance

Il s’agit de financements en dette, octroyés à des entreprises de tailles diverses par des acteurs non bancaires qui sont le plus souvent des fonds d’investissement. L’autre spécificité de la dette privée tient au fait que ces titres de différentes natures (voir encart) ne sont cotés sur aucun marché financier.

Répandu jusqu’alors aux États-Unis, cet instrument a commencé à émerger en Europe au sortir de la grande crise financière de 2008-2009, qui avait contraint les banques à durcir les conditions à l’accès au crédit pour leurs clients. Depuis, il n’a cessé de monter en puissance. « Le marché mondial de la dette privée enregistre une très forte croissance, de l’ordre d’environ 400 % sur la décennie écoulée », fait remarquer Mara Dobrescu, responsable de la recherche sur les fonds obligataires chez Morningstar. « Sa taille devrait ainsi avoisiner 1 800 milliards de dollars fin 2024, contre 1 600 milliards de dollars un an plus tôt. » En France, quelque 13,9 milliards d’euros ont encore été investis sous cette forme par des fonds en 2023, selon les dernières statistiques de l’association France Invest, dans le cadre de 418 opérations.

Un environnement de taux porteur

Du côté des sociétés emprunteuses, le succès de la dette privée tient à plusieurs facteurs, parmi lesquels figure la capacité des prêteurs à proposer des financements remboursables intégralement à échéance, sur des maturités étendues (5 à 10 ans, voire plus) et avec des niveaux de levier (ratio de dette nette sur EBITDA) plus élevés que les banques. Dans le même temps, la percée de cette classe d’actifs dans les stratégies d’allocation des investisseurs finaux a été largement alimentée par l’environnement de taux d’intérêt des dernières années.

Dans le contexte de taux bas, voire négatifs, sur la période 2015-2021, la quête de rendements avait en effet amené un grand nombre d’entre eux à se tourner vers des actifs dits alternatifs, plus risqués mais plus rémunérateurs, comme l’immobilier, le capital-investissement et… la dette privée. La remontée brutale des taux opérée par la Banque centrale européenne (BCE) en 2022 n’a pas enrayé cette dynamique, tant s’en faut. « Les financements en dette privée étant octroyés à taux flottant (ou variable), leur rendement a mécaniquement profité de la forte hausse du taux Euribor 3 mois observée entre début 2022 et fin 2023 », pointe Frédéric Giovansili, directeur général adjoint de Tikehau Capital et de Tikehau IM, acteurs pionniers dans la dette privée. Sur la période, l’Euribor 3 mois était passé de -0,57 % à +3,90 % avant de retomber autour de 2,90 % sous l’effet de l’assouplissement monétaire initié en juin par la BCE.

De plus en plus de fonds ouverts au retail

Cet appétit croissant pour la dette privée émane avant tout d’investisseurs professionnels (compagnies d’assurance, family offices…). Les particuliers ne sont toutefois pas en reste, séduits non seulement par des niveaux de rendements oscillant aujourd’hui le plus souvent entre 7 % et 10 %, mais aussi par « le fait que la dette privée tout comme le capital-investissement serve à financer l’économie réelle, et plus particulièrement des entreprises locales, ce qui est très apprécié », relate Martin Alix, directeur du développement produit chez Primonial.

Chez les plus fortunés d’entre eux, l’investissement en direct dans des fonds de dette privée tend ainsi à devenir de plus en plus courant. L’enrichissement de l’offre de fonds d’investissement alternatif (infrastructures, non coté…), aussi appelés fonds européens d’investissement à long terme (ELTIF), n’y est pas étranger. « En Europe, on comptabilise aujourd’hui près de 140 produits ELTIF référencés par l’Autorité européenne des marchés financiers, dont environ 70 sont accessibles aux investisseurs particuliers », recense Mara Dobrescu, chez Morningstar. Mi-novembre, Amundi a par exemple lancé son fonds baptisé Prima (dette privée, infra et private equity), dont le ticket minimal a été fixé à 1 000 euros, bien en dessous des standards existants. En effet, le ticket minimal s’établit généralement à 100 000 euros et peut démarrer, en fonction des sociétés de gestion s’ouvrant à la clientèle retail, à 1 million d’euros.

Dans cette même logique, l’investissement dans des fonds de fonds de dette privée a aussi le vent en poupe. « Il permet de mitiger le risque de perte en capital en comparaison à un investissement direct dans un fonds, l’argent placé étant alors réparti dans plusieurs véhicules », indique David Guyot, directeur général du courtier en placements Pandat Finance. Ce positionnement « fonds de fonds » dans le non coté auprès des particuliers est mis en avant par des acteurs comme Altaroc et Peqan.

Les unités de compte essaiment

Au-delà de l’investissement direct, la démocratisation de la dette privée s’observe surtout au niveau des contrats d’assurance-vie, au sein desquels les unités de compte (UC) investies dans cette classe d’actifs se multiplient. La MASCF, assureur mutualiste des professionnels de la santé, avait été précurseur en lançant en 2021 un tel produit en collaboration avec Tikehau Capital. « Nous avons souhaité ouvrir cette classe d’actifs au plus grand nombre en fixant un ticket d’entrée très bas, de l’ordre de 200 euros », rappelle Roger Caniard, directeur financier du groupe MASCF. Avec « une performance nette recherchée pour l’assuré qui s’établit, au moins, au double du rendement du fonds en euros », la démarche a été couronnée de succès. « Alors que nous visions initialement une collecte à terme de quelques dizaines de millions d’euros, celle-ci dépasse aujourd’hui 750 millions d’euros ! », poursuit Roger Caniard. Fort de ce constat, l’assureur a lancé le 24 octobre 2024 une deuxième UC en dette privée, avec Andera.Même son de cloche chez Primonial. « En 2019, nous avons lancé notre première offre d’UC investies sur des actifs dits alternatifs, qui était tournée vers le capital-investissement – c’est-à-dire l’investissement en fonds propres au sein d’entreprises non cotées, témoigne Martin Alix. Face au succès de l’initiative et aux marques d’intérêt croissantes de nos clients pour cette classe d’actifs, nous avons voulu l’enrichir, et la dette privée, qui partage le même ADN que le private equity, était une suite logique. » Le spécialiste de la gestion de patrimoine propose aujourd’hui deux solutions de cette nature, dont « le rythme de collecte est deux à trois fois plus soutenu que pour notre UC en capital-investissement à son lancement », constate Martin Alix. Tandis que la plupart des assureurs-vie se sont engagés dans cette voie, la loi Industrie verte devrait accélérer le mouvement, comme en témoigne le développement en cours de nouvelles UC en dette privée.

Une approche prudente

Aussi attractif et prisé soit-il, l’investissement dans la classe d’actifs dette privée peut néanmoins se révéler risqué. « Les sociétés financées sont majoritairement des PME, dont le profil de crédit est, du fait de leur taille, structurellement plus risqué que celui d’entreprises qui se financent sur les marchés publics (ETI et grands groupes). Autre différence majeure par rapport à ces dernières : la plupart d’entre elles ne font l’objet d’aucune évaluation externe de la part d’une agence de notation, ce qui représente, là aussi, un facteur de risque supplémentaire », prévient Mara Dobrescu. La responsable de la recherche sur les fonds obligataires chez Morningstar avance également un autre paramètre à bien avoir en tête. « Outre leur liquidité faible, voire inexistante, les fonds de dette privée affichent, pour la plupart d’entre eux, une transparence limitée sur leurs encours et sur les actifs auxquels ils sont exposés. En outre, la publication de leur valeur liquidative mise à jour est souvent peu fréquente. »C’est pourquoi les conseillers en gestion de patrimoine recommandent une approche mesurée dans ce domaine. « Plus la classe d’actifs dette privée va grossir, plus le risque d’accident dans le marché va augmenter », relève ainsi Hélène Barraud-Ousset. « Face à l’absence de liquidité et au risque de défaut relativement élevé, il est prudent de limiter l’exposition à cette classe d’actifs à hauteur de 5 à 10 % de son patrimoine. »

Facilitée par une offre de produits de plus en plus abondante, la diversification des placements dans la dette privée est aussi préconisée. Outre la sélection de plusieurs fonds, fonds de fonds ou UC, les investisseurs retail peuvent également mixer les instruments aux caractéristiques variées. Dans ce cadre, certains acteurs proposent par exemple des placements dans la dette privée immobilière. « Il peut également être intéressant de diversifier son allocation en dette privée avec des produits libellés en dollars, préconise David Guyot. Au-delà d’offrir des rendements souvent supérieurs, le marché américain est sensiblement plus profond et beaucoup plus ouvert aux investisseurs retail. » Illustrant l’émulation et la créativité des professionnels du secteur autour de la dette privée, certains, à l’image du fonds américain Apollo, travaillent actuellement au lancement de fonds indiciels cotés (aussi dits trackers, ou ETF pour Exchange Traded Funds) exposés à cette classe d’actifs. Une chose apparaît certaine : l’engouement autour de la dette privée ne semble pas près de se dégonfler.

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