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Aristophil : les dangers de l'investissement dans les manuscrits

Une nouvelle vente aux enchères des manuscrits d'Aristophil a permis de récolter 5 millions d'euros. Une somme bien maigre en comparaison des 1,2 milliard d'euros que l'escroquerie présumée aurait coûté à 18 000 épargnants.

Temps de lecture : 5 minute(s) - Par C Courvoisier | Mis à jour le 28-12-2020 21:39:00 | Publié le 09-04-2019 16:08  Photo : © Pixabay  
Aristophil : les dangers de l'investissement dans les manuscrits

• La société Aristophil proposait à des particuliers d'investir en copropriété dans des manuscrits historiques.
• Son fondateur est actuellement mis en examen pour "escroquerie en bande organisée" et les manuscrits sont vendus aux enchères.
• Les 18 000 particuliers qui ont investi ont vraisemblablement perdu beaucoup d'argent.


Des manuscrits présentés comme un investissement financier

Depuis 2003, la société Aristophil proposait à des épargnants d'investir dans des manuscrits à valeur historique. Présentée comme une spécialiste des « autographes », elle achetait les documents à des particuliers ou en vente aux enchères publiques.

Les manuscrits (ainsi que des œuvres d'art) étaient ensuite regroupés en « lots » composés de plusieurs documents. Ceux-ci étaient revendus soit à une seule personne, soit en indivision à plusieurs épargnants. A la clé, une promesse de rendement intéressant (8% par an) et une exonération d'ISF. Pour les particuliers fortunés ou non, c'était l'occasion d'acheter un « morceau d'Histoire », tout en réalisant une plus-value.

Sauf que le système n'était en réalité pas si idyllique. Bien souvent, le prix auquel Aristophil revendait ses manuscrits aux particuliers avait augmenté par rapport à sa valeur d'achat. Or, le prix était déterminé par une expertise de la société ou d'un expert mandaté par ses soins. Selon le journal Libération, une correspondance d'Albert Einstein qui avait été achetée par la société 560 000 € aux enchères en 2002 avait ainsi été revendue 12 millions d'euros à 400 épargnants en copropriété.

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Une société qui se donnait les moyens d'avoir l'air sérieuse

La société Aristophil avait de quoi attirer les épargnants : les manuscrits acquis étaient bien réels et pouvaient faire rêver les amateurs d'Histoire et de patrimoine.

La collection était composée de courriers d'illustres personnages historiques (Napoléon, Henri IV, Marie-Antoinette, Staline, testament de Louis XVI...), d'œuvres d'art (Picasso, Gauguin, Renoir...), cartes de la Renaissance, écrits littéraires (poèmes d'Hemingway, manuscrits de Céline...)... Une des pièces maîtresses était le « rouleau de la Bastille » du Marquis de Sade. Toutes ces « lettres autographes » étaient exposées dans le VIème arrondissement de Paris dans le « musée des lettres et manuscrits », créé par la société.

A ce jour, la collection de manuscrits d'Aristophil reste la plus importante au monde. Pour les épargnants, cette réalité a probablement contribué à masquer un peu plus le fait qu'ils les achetaient trop cher. Même aujourd'hui, en regardant le film promotionnel de la société sur Youtube (toujours disponible en ligne), il est difficile d'imaginer qu'en réalité toute cette affaire n'était qu'une supercherie.
Le société y bénéfice en effet de témoignages de personnalités inspirant confiance, comme Patrick Poivre d'Arvor, un avocat et un expert près de la cour d'appel de Paris, qui n'ont probablement pas non plus décelé les failles du systèmes.




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L'alerte de l'AMF puis la chute d'Aristophil

Plusieurs facteurs ont cependant fini par attirer les soupçons de la justice. D'une part, un probable conflit d'intérêts puisque la société Aristophil était à la fois acheteuse, évaluatrice et revendeuse. D'autre part, la déconnexion entre la valeur d'achat publique en vente aux enchères et la valeur de revente aux épargnants. Ensuite, le montage compliqué (devenir propriétaire de manuscrits en indivision...).

Et enfin, une promesse de rendement alléchante, alors que rien ne peut garantir la plus-value dans le temps, que ce soit pour un produit financier classique ou sur n'importe quel support de placement atypique.

En 2012, l'Autorité des Marchés Financiers lançait plusieurs alertes. Le gendarme de la finance avertissait les épargnants de la dangerosité de l'investissement dans les manuscrits, mais également le vin, les timbres, les diamants...

En 2015, c'est la chute. Gérard Lhéritier, le fondateur d'Aristophil, est mis en examen pour escroquerie en bande organisée. Un système de pyramide de Ponzi est soupçonné (comme celui utilisé par Madoff aux États-Unis) : en plus d'une éventuelle surévaluation des manuscrits à son profit, Aristophil pourrait avoir versé un rendement aux premiers investisseurs grâce à l'argent investi par les nouveaux entrants.

Si elle était avérée, l'escroquerie pourrait s'élever à près de 1 milliard d'euros et concerner 18 000 épargnants. Deux procédures judiciaires sont ouvertes et devraient durer plusieurs années. La justice devra se prononcer sur l'existence ou non de l'escroquerie soupçonnée.

En 2017, un premier jugement a autorisé la mise en vente aux enchères de toute la collection d'Aristophil. Les maisons de vente Aguttes, Artcurial, Drouot Estimations et Ader-Nordmann, réunies sous le sigle OVA (Opérateurs de Vente Aristophil), ont été chargées d'organiser la cession des 130 000 manuscrits. Celle-ci devrait s'étaler sur plus de 6 ans.

Gérard Lhéritier, le fondateur d'Aristophil, avait été poursuivi puis innocenté par la justice en 2013 dans une affaire d'abus de confiance concernant la revente de timbres monégasques entre 1989 et 1996.



Des ventes loin de permettre aux épargnants de récupérer leurs fonds

En 2018, les 14 premières ventes avaient pu dégager 26,4 millions d'euros. Début avril, une nouvelle vente a permis d'engranger 5 millions d'euros supplémentaires. Parmi les biens vendus, un tableau de Pierre-Auguste Renoir adjugé 494 000 euros et une signature de Picasso vendue 27 300 euros, alors qu'elle n'était estimée que 1500. Mais cela reste une somme bien mince comparé à l'argent investi par les épargnants.

Le problème est que leur valeur réelle des pièces est loin d'être équivalente au prix que les épargnants ont déboursé. Les premières ventes aux enchères sont plutôt décevantes pour les épargnants, puisque les manuscrits partent à des prix nettement inférieurs à ce qu'ils ont été payés. Certaines personnes disent avoir été ruinées avec l'affaire Aristophil, puisqu'elle y ont investi toutes leurs économies.

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L'État souhaite récupérer des pièces, au grand dam des épargnants

Pour les investisseurs, un nouveau problème se profile. La valeur historique et patrimoniale de certaines pièces réunies par Aristophil intéresse également les archives de l'État Français, qui souhaite les récupérer. Plusieurs ministères revendiqueraient environ 1 000 lots, dont le testament de Louis XVI ou des courriers de Napoléon Ier.

Mais l'État ne compte pas payer pour récupérer ces trésors, ce qui pose un problème pour l'indemnisation des épargnants. Le code du Patrimoine autorise en effet les autorités à revendiquer gratuitement tout manuscrit d'une personne public écrit dans le cadre de ses fonctions publiques. Un coup dur pour les particuliers, qui disposent néanmoins d'un argument pour se défendre... à condition d'ouvrir une nouvelle procédure en justice. En effet, les manuscrits sont déjà passés une première fois aux enchères publiques sans avoir été revendiqués par l'État.

Une affaire similaire avec Signatures - Artecosa ?

Parfois surnommée la « cousine d'Aristophil », la société Signatures proposait elle aussi à des épargnants d'investir dans des manuscrits avec un rendement qualifié « d'intéressant ». La société proposait également de « constituer des collections ».

Entre 2014 et 2016, elle aurait convaincu 650 clients et généré 25 millions d'euros de chiffres d'affaires selon l'Autorité des Marchés Financiers. La société a été mise en liquidation judiciaire fin 2018. Son président a été condamné à 50 000 euros d'amende et interdit d'exercer l'activité d'intermédiaire en biens divers.

L'investissement dans l'art, les manuscrits, le vin et tout autre type de bien atypique doit toujours être envisagé comme un placement extrêmement risqué. Rien ne peut garantir une appréciation dans le temps, puisqu'elle dépend de l'offre et de la demande mondiale.

Pour éviter les écueils, quelques principes doivent être respectés. Premièrement, n'investir que des sommes dont on n'a pas besoin et faire des recherches sur le prix réel des biens ou objets qui sont proposés. De même, il est déconseillé de faire systématiquement confiance aux intermédiaires sans prendre des informations de son côté, et vérifier leur immatriculation auprès des autorités compétentes. Ne cédez jamais au chant des sirènes : rien ne peut garantir un bon rendement dans le temps et le produit d'investissement miracle n'existe pas.

A propos d'Art et Patrimoine : Le point sur les litiges qui entourent Notre-Dame suite à l'incendie



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